Introduction

Si l’on rappelle la définition du mot « méthode » empruntée au Littré : « ensemble de procédés raisonnés pour faire quelque chose », écrire une méthode d’initiation à la musique relève d’une grande ambition : il s’agit ni plus ni moins d’essayer de raisonner la passion. La musique est un monde d’émotions, de rêves, de désirs d’expression, de sensations, toutes choses complètement passionnelles et irrationnelles.

« Méthode » est un mot mal perçu aujourd’hui, car il sous-entend une conception très dirigiste de l’enseignement qui peut conduire à l’esprit de système.

J’enseigne le piano depuis trente ans, et j’ai toutes sortes d’élèves, principalement des « grands » avancés à rééduquer, mais aussi, et heureusement, des débutants !

Un débutant est par définition un musicien à construire, le rôle de son professeur consiste à lui apprendre à jouer, et donc principalement à construire son travail, en lui donnant des bases solides et pérennes.

Un pianiste à rééduquer pourrait être comparé à un immeuble mal construit mais ayant belle apparence, qui au bout de quelques années, commence à se fissurer. Vous réparez les craquelures mais sans arrêt de nouvelles dégradations apparaissent jusqu’au moment où vous comprenez enfin que les fondations de l’édifice ont été bâclées. La rééducation est extrêmement difficile et douloureuse, il faut réorganiser les fondations sans casser le pianiste. La démarche passe alors par des biais intellectuels sophistiqués destinés à effacer des errances qui empêchent d’accepter cette évidence : il est facile physiquement de jouer du piano.

Il eût été ardu de dresser un panorama complet des fêlures possibles du pianiste avancé (qui relèvent cependant toujours des mêmes manques : mauvaise lecture, oreille défaillante ou supposée telle, absence de pulsation, tensions physiques inutiles) et de tenter d’apporter par écrit les remèdes utiles.

C’est pour cette raison que j’ai décidé d’écrire un recueil consacré aux débutants, destiné à leurs jeunes professeurs.

Dans cet ouvrage qui tente d’organiser un enseignement dans lequel le son va provoquer le geste, il me semble impératif de préciser ce que j’entends par « son ». Quel son ? Celui du piano ou celui de la voix de l’élève ? Tous les musiciens depuis Chopin, qui d’ailleurs recommandait à ses élèves de prendre des leçons de chant, s’accordent pour dire: « le piano, c’est du chant », c’est aussi ma certitude oui, mais les registres très étendus, la multiplicité des voix, la simultanéité des sons, la vitesse au piano sont inaccessibles à la voix : c’est l’imaginaire sonore construit à partir du concret de sa propre voix qui permet de restituer, en les superposant, ces différents éléments.

L’ambition de cet ouvrage est de faire partager un long travail de recherche (et de remise en ordre) sur les processus d’apprentissage de la musique au piano.

Le principe essentiel : le son avant le geste ou la pensée précède l’action.

Appliquée au monde de la musique cette formule pourrait être traduite par : je veux obtenir un son et je le réalise grâce à mes mains.

Avec un tel abord de l’instrument, il est indispensable de former et de développer l’oreille de l’élève, et de lier cette formation à l’apprentissage simultané de tous les systèmes de lecture (et par conséquent d’écriture) utilisés en musique.